Calista

Elle avait tant souffert des brimades et réflexions de ses semblables, la frêle Calista, jeune enfant aux pieds agiles. Ils l’appelaient la « sournoise », la « lâche » et utilisaient d’autres adjectifs moins plaisants… Elle s’était tant de fois retrouvée dans les branches de ces chênes plusieurs fois centenaires à pleurer en serrant les dents et les poings de frustration. Elle n’était pas forte, non, mais elle était douée pour courir et pour viser au lancer de pierres. D’où ces surnoms peu flatteurs. Une après midi, lorsqu’elle rentra une fois de plus le visage baigné de larmes au logis, sa mère se tourna vers elle et, essuyant ses joues délicatement, lui tint ce discours étrange :

« Ma fille, tu es à l’aube de ton seizième automne et il est temps que tu prennes conscience de ton héritage.
- Mon héritage ? Mais tu es en vie ! Ne me dis pas que…
- Non. Mais tu es la descendante d’une longue lignée de femmes vénérant une déesse multiple et puissante. Elle saura t’accorder ce qu’il te faut si tu t’en montres digne. »
-
La mère se tut et lui glissa entre les mains un anneau composé de plusieurs cercles d’argent et orné de gravures mystérieuses. Calista semblait en transe tandis qu’elle contemplait le bijou, ajustant les anneaux et les faisant tourner jusqu’à ce qu’ils lui indiquent un chemin. C’est comme si une clé s’était enclenchée dans la serrure de son être.

Khrysêlakatos.

La jeune fille courait parmi arbres et buissons, seulement vêtue de sa tunique couleur taupe. Ses cheveux de miel faisaient comme une traine parmi les branches qui tentaient de capter un reflet de lumière. Le cœur de Calista pulsait au rythme d’un appel qu’elle ressentait jusque dans ses os. Après ce qui lui parut être une éternité de course, la jeune fille atteint une petite clairière que des trouées dans les arbres éclairaient. Une grotte se dissimulait derrière un épais bosquet mais elle savait quel chemin emprunter afin d’en atteindre le cœur. Evitant les pièges étrangleurs, elle se glissa dans les ombres et fit ses premiers pas dans l’obscurité, sur le sol glacé de pierre qui abritait le mystère de son héritage.

Dix fois, et dix fois encore elle se perdit dans le noir absolu. Elle ne tenait que grâce à sa volonté, qui se battait elle-même âprement contre la panique qui menaçait de l’envahir. Elle voulait hurler, se laisser aller à la folie, sangloter, s’enfuir, mourir… Mais elle tint bon tant bien que mal, sa gorge sèche et ses entrailles en feu. Au moment où elle ne fut que pure volonté, une leur chaude lécha ses pieds. Calista suivit prudemment le chemin de flammes éthérées… Et se retrouvé devant une statue grandeur nature d’une archère bien plus grande qu’aucun homme qu’elle ne vit jamais. Elle était faite en marbre et représentait une archère au visage sévère, le front ceint d’un diadème auquel il semblait manquer quelque chose. Comme une pierre qui aurait dû s’y trouver. Les yeux inexistants s’emplirent soudain d’intelligence et de vie et abaissèrent leur puissance vers la jeune fille pétrifiée.

Nul ne sut ce qu’il se dit entre elles, les desseins des dieux étant impénétrables aux profanes… Mais lorsque Calista regagna la lumière, quelque chose en elle avait irrémédiablement changé. Elle passa encore de longs moment dans les bois à tailler et polir un arc, des flèches, à s’entrainer, la flamme de ses yeux cobalt animée d’un souffle nouveau. Lorsqu’elle revint au village, sa famille avait disparu, comme si jamais personne n’avait habité cette cabane qu’elle connaissait depuis sa plus tendre enfance.

Trancher les liens.

Calista tenait là sa revanche, lorsque les jeunes vinrent l’encercler afin de lui faire subir leurs éternelles brimades. Mais elle n’était plus cette victime effarouchée, fuyant devant le danger et elle ne ressentit rien lorsqu’elle banda son arc, puis abattit le premier de ses tortionnaires. Elle les tua tous jusqu’au dernier, sous les yeux horrifiés des villageois. Personne ne tenta de l’arrêter car ils avaient entraperçu une ombre sur l’épaule de la jeune fille et en connaissaient la signification. Personne ne fut donc surpris de voir débarquer les chevaliers du Roy le lendemain.

Plus personne ne revit Calista, ils gardèrent pour toujours le souvenir d’un regard brûlant de flammes bleues dans un village mat encadré de longs cheveux couleur miel.